De l'espoir à l'indignation. Rien n'a changé sur le marché!
Depuis quelques mois des artistes frappent à la porte du "marché de la création", avec l'espoir d'une nouvelle logique de fonctionnement, plus juste, plus transparente.
En effet de nouvelles têtes sont apparues sur le marché, d'anciens exposants qui sont revenus ou de nouveaux inconnus, pourtant il reste toujours un tiers des places vides. Aucun rappel n'est fait le matin, comme stipulé dans le règlement, et ce sont les mêmes habitudes malsaines qui reprennent irrémédiablement.
Après une interdiction offcielle d'exposer, après son dernier passage en commission le 15 décembre 2009, Martha Melikian, artiste professionnelle affiliée à la Maison des Artistes depuis 3 ans, a été définitivement démolie par un nouveau refus non argumenté et dévastateur. Règlement de comptes? Punition pour rebellion? Etouffement de la création?
L'absence de professionnalisme de ce texte est étonnante. Plus qu'un avis, ce courrier est un jugement de valeur indigne de l'éthique du marché "de la création" et de la profession artistique. Formuler de tels jugements, au 21e siècle, lorsque l'esthétique n'est plus qu'une affaire de collectionneurs d'art ancien, relève de la censure.
Ci-après la lettre où Martha Melikian annonce la saisie du tribunal administratif pour le respect du règlement et des artistes. Reagissez!
LETTRE DE MARTHA MELIKIAN à la commissaire du marché, l'Adjointe à l'Economie, l'Adjoint à la Culture et au Maire de Lyon
J’ai bien reçu l’avis de refus, suite au passage en commission, pour exposer au Marché « de la Création » de Lyon. Aujourd’hui je n’en appelle plus à votre mansuétude, ni à votre sens de justice, car au-delà de toutes mes attentes vous m’avez plus démolie qu’évaluer la possibilité de présenter ma peinture au public du marché.
Je nourrissais l’espoir, en tant qu’RMIste comme d’autres artistes le font, que vous me donneriez la chance, comme aux jeunes créateurs, de profiter de ce tremplin qu’est le marché, mais peu importe. Vous préférez accepter des exposants qui ont déjà pignon sur rue, qui ont des galeries, à Lyon même, et qui prennent la place des artistes qui n’ont pas la chance de s’exprimer. Et je tiens à vous faire part, à travers ces premiers mots, de mon désespoir. Je pensais que notre société, qui soit disant veut donner leur chance aux plus démunis, dans la difficulté, comme le sont souvent les jeunes artistes CREATEURS, aurait un autre regard que celui de la critique.
Mais le plus grave n’est pas que j’ai un avis favorable ou défavorable. Dans notre combat que nous avons mené avec d’autres peintres cet été, vous nous avez promis une refonte du règlement, que vous avez d’ailleurs modifié, et nous constatons, car il semblerait que je ne sois pas la seule à subir la foudre de votre commission, que rien n’a changé. Pour exemple : vous renouvelez, sans aucun état d’âme, l’autorisation des artistes qui sont là depuis des années et qui n’ont plus produit rien de nouveau et d’autres nombreux dont le style est « à la manière de ».
Ce qui est inadmissible et contraire à toute déontologie et à toute éthique, que le mot CREATION devrait donner à votre commission, est ce qui figure sur l’avis de refus, qui détruit ma peinture. A vous lire, j’ai l’impression d’entendre Lebrun qui au 17e siècle, définissait une esthétique académique, ou Bouguereau qui, au début du 20e siècle, reprochait au jeune Matisse qu’il ignorait la perspective, pendant que ce dernier représentant de la peinture classique était en train de refaire pour la troisième fois « Le guépier », tableau qui avait eu un grand succès au salon. Aujourd’hui qui se souvient de Bouguereau ? Mais tout le monde connaît Matisse…
Si votre commission, comme vous le prétendez, était composée de professionnels, ils se souviendraient qu’au début du 20e siècle, ceux qui aujourd’hui font la une des grandes expositions dans les musées du monde sont ceux que l’on refusait hier. Et j’ai l’impression que votre commission, avec le même talent inquisiteur, refuserait, avec les mêmes critiques, Munch, Soutine, Piet Mondrian, Maurice de Vlaminck… Je me pose la question de savoir comment aujourd’hui on peut laisser encore l’académie et l’inquisition emprisonner l’art.
Comme je vous le disais au début de ma lettre, j’accepte l’avis de refus, mais ce que je n’accepte pas c’est la critique que l’on fait de mon travail. Qui aujourd’hui peut prétendre à ce pouvoir ? Il aurait été plus délicat de me dire tout simplement que je ne correspondais pas à l’esprit du marché de la création. Et comme beaucoup de peintres au début du 20e siècle, même s’ils n’ont pas pu jouir d’estime de leur vivant, ils ont toujours poursuivi le même idéal, et c’est cet idéal que je veux exprimer dans ma peinture, dans la spontanéité, rechercher l’émotion en faisant fi de la technique. J’espérais que, comme chaque artiste qui fait acte de création, j’aurai le droit d’avoir la chance de confronter ma peinture au regard du public, le seul qui peut en toute sincérité et spontanéité réagir à ma proposition esthétique. Le public de ce marché m’a toujours réservé un accueil chaleureux (d’ailleurs le public achetait régulièrement mes œuvres).
Je ne conteste pas l’existence d’une commission, je l’ai dit à maintes reprises. Je conteste profondément son fonctionnement et le dédain avec lequel le travail de certains artistes est considéré. Comment peut-on refuser, alors qu’il y a des places vides sur le marché et qu’aucun rappel n’est fait le matin, un Jean-Marc Belleton, qui expose dans les grands salons, sur motif que les proportions des figures ne sont pas respectées ?? Ou une Patricia Perrier-Radix parce que ses personnages n’ont pas de visage ?! Ou bien un Xavier Simonin, exposé déjà dans deux musées de France ?? Parce que sur le marché rien ne change et qu’en réalité ce n’est ni plus ni moins qu’un marché de tableaux et de poterie et qu’il a perdu son âme de « création ».
Ma lettre est un droit de réponse, auquel j’ai droit parce qu’une commission a porté un jugement de valeur sur mon travail. Cette lettre sera adressée bien sûr à la commissaire du marché, à la responsable des services économiques, à l’adjoint à la culture et à M. Gérard Collomb, Maire de la Ville de Lyon. Et bien sûr, comme le prévoit le règlement, je saisis le tribunal administratif pour faire valoir mes droits en tant qu’artiste professionnelle.
PS : Je tiens à attirer votre attention qu’après m’avoir interdit par lettre recommandée d’exposer sur le marché des passe-droits sont accordés à certains artistes qui n’ont, ou jamais eu d’autorisation. Et d’ailleurs, si vos services voulaient vérifier les autorisations, comme le prévoit l’article 6 alinéa 2 du nouveau règlement, aucun des exposants n’affiche clairement son autorisation.
Lyon, 11 février 2010